En 2020, pendant le confinement, j’ai expérimenté la Fresque du Climat, un outil pédagogique innovant où les participants découvrent, grâce à une méthode de classe inversée, l’effet domino provoqué par le changement climatique et les conséquences catastrophiques qu’il pourrait avoir sur l’humanité.
Parmi celles-ci figurent l’augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes, comme les vagues de chaleur, les ouragans et les inondations ; la fonte des glaces polaires et des glaciers qui élèvent le niveau des mers, mettant en péril les zones côtières ; le bouleversement des écosystèmes terrestres et marins qui entraînent la migration des espèces ; la perte de biodiversité et des perturbations majeures de l’agriculture qui menacent la sécurité alimentaire ; la fonte du permafrost qui libère des virus enfermés dans la glace depuis des centaines de milliers d’années ; sans oublier des conflits liés aux ressources qui peuvent déclencher des conflits armés et des migrations de plusieurs centaines de millions de personnes.
Les activités humaines
Ces catastrophes découlent toutes d’une seule carte, portant sobrement ces deux mots : « activités humaines ». Pourtant, bien qu’elle soit présentée comme le déclencheur initial de toute cette mécanique mortifère, elle n’est jamais explicitée en elle-même.
Cela m’amène à m’intéresser à la façon dont l’écologie externe, qui est l’objet de la Fresque du Climat, s’articule avec la question de l’écologie interne. Ce dernier terme désigne tout ce qui se passe dans notre petit cosmos intérieur, c’est-à-dire la manière dont les croyances, les valeurs, les besoins et les émotions interagissent pour expliquer nos comportements.
L’écologie interne
De nombreuses approches théoriques ont cherché à modéliser le fonctionnement de l’écologie interne, comme la Communication Non Violente (CNV) de Marshall Rosenberg, l’Élément Humain de Will Schutz, la thérapie humaniste de Carl Rogers, l’analyse transactionnelle d’Éric Berne, ou encore la théorie de l’autodétermination de Deci et Ryan.
En m’inspirant de ces approches, j’ai élaboré mon propre modèle basé sur cinq concepts :

L’élan vital est une notion qui provient du philosophe Henri Bergson. Dans son ouvrage L’Évolution créatrice, il définit l’élan vital comme une force motrice fondamentale, mystérieuse et immatérielle, qui anime la vie et guide l’évolution biologique. Elle se rapproche de ce que Nietzsche et Schopenhauer désignent sous le terme de « volonté », entendue comme source de la manifestation vitale.
· L’identité est la première structure qui capture et organise l’élan vital sous la forme d’un complexe psychique constitué par l’image de soi, l’image des autres et celle du monde. L’identité englobe notamment l’estime de soi, les valeurs et les croyances.
· Les besoins traduisent les éléments clés de la structure identitaire sous la forme d’impulsions à réaliser certaines actions qui procurent un sentiment de bien-être lorsque le besoin est satisfait. Selon la nature de la construction identitaire, la nature des besoins va également varier.
· Les émotions et les sentiments se forment sur la base des besoins biologiques, psychologiques et existentiels des individus. Ils existent d’abord à un niveau inconscient et peuvent devenir plus ou moins conscients, dirigeant ainsi les comportements. Il existe cinq émotions de base : la joie, la tristesse, la colère, la peur et le dégoût. Celles-ci se différencient en plus d’une centaine d’émotions selon la manière dont notre conscience interagit avec elles.
· Les comportements sont la partie visible de l’iceberg et comprennent tout ce qui peut être objectivement observé chez un individu. Les comportements sont donc l’interface avec l’écologie externe, c’est-à-dire la manière dont nous interagissons avec les autres et avec le monde.
Grandir est difficile
La destinée d’un être humain est d’évoluer. Cela signifie qu’à chaque fois que nous vivons une nouvelle expérience, faisons une rencontre ou sommes confrontés à une épreuve, cette dernière devrait élargir notre identité, renforcer notre élan vital et déployer notre écologie interne vers de nouvelles hauteurs.
En pratique, il suffit de constater l’immense panoplie de projections égotiques, d’aveuglement volontaire et de stupidité conquérante dont témoigne une partie de l’humanité pour comprendre qu’un tel degré d’ouverture de conscience est aussi rare qu’une goutte de pluie dans le désert du Sahara.
D’un autre côté, il faut admettre que le changement n’est pas simple. Jean Piaget, pionnier de la psychologie du développement, a démontré que lorsque notre esprit est confronté à quelque chose de nouveau, il cherche d’abord à l’assimiler à des schémas existants.
Si cette assimilation s’avère impossible, l’esprit doit alors modifier ses propres schémas, ce qui peut aller jusqu’à transformer ses croyances fondamentales. Cela signifie que plus l’épreuve à laquelle la vie nous confronte est importante, plus le fait d’en tirer des leçons exige que nous mourions intérieurement pour renaître sous une forme élargie.
La sécurité ontologique
Se remettre véritablement en cause est donc une démarche déstabilisante, ce qui nous amène à la question des facteurs favorisant l’ouverture de conscience face à la vie.
Dans les années 1940, les travaux du psychiatre et psychanalyste René Spitz ont montré que des nourrissons en carence d’affection présentaient d’importants retards de développement et que, dans certains cas, l’absence d’amour et de soutien social pouvait conduire à leur mort.
Ces travaux ont été confirmés dans les années 50 par John Bowlby, un autre psychiatre qui a apporté le concept de sécurité affective pour décrire en quoi la relation protectrice de l’enfant avec les parents et l’entourage est indispensable à un développement sain.
À partir de ces travaux, la psychologue du développement Mary Ainsworth a mené, dans les années 70, des recherches complémentaires. Elle a démontré, par l’observation des réactions d’enfants face à une situation inhabituelle, que ces derniers pouvaient présenter des structures psychologiques de types sécure (émotionnellement stable) ou insécure (marquées par l’instabilité émotionnelle).
Les découvertes sur le caractère essentiel de ce concept amènent des sociologues de premier plan, comme Anthony Giddens, à parler non plus seulement de sécurité psychologique ou émotionnelle, mais également de sécurité ontologique (liée à l’être même des individus).
Le corps aimant, les rôles modèle et les rites
Comment favoriser un mode sécure et ouvert ? Le premier facteur à considérer ici est le corps. Les enfants qui expérimentent l’affection de leur entourage sous forme de présence physique rassurante, de câlins et de massages, sont naturellement plus sécures.
Ensuite, il y a l’équilibre intérieur des figures parentales et éducatives. Les enfants étant totalement dépendants de leur système de soutien pour survivre, ils vont se construise sur la base de ce qu’ils observent des adultes qui les entourent. Plus ces derniers sont cohérents et inspirants, et plus l’enfant va se développer lui-même de façon harmonieuse.
Enfin, il y a les rites de passage : les peuples premiers ont tous développé des parcours initiatiques car ils sont le creuset dans le lequel l’écologie interne va se construire et s’agrandir. Cela signifie que la structure de soutien sociale est mise en tension avec des épreuves déclenchées par le groupe pour soutenir la métamorphose identitaire des jeunes en développant leur estime d’eux-mêmes et leur sentiment d’efficacité personnelle.

L’injonction contradictoire et les croyances limitantes
Le problème est que la société moderne pèche sur ces trois points : le corps est négligé ; les rituels de passage ont presque complètement disparu ; quant au comportement des adultes, il est devenu un nid à paradoxes.
Typiquement, si maman dit : « je t’aime comme tu es » et papa ajoute : « mais surtout quand tu es sage ! », l’enfant va interpréter ce double message comme une injonction contradictoire, en soi incohérente, mais à laquelle il faut impérativement se plier pour continuer à recevoir l’amour et survivre.
Pour peu que des injonctions de ce type sont répétées par des parents qui n’ont pas travaillé à régler leurs problèmes et pour peu qu’elles soient en outre renforcée par l’environnement relationnel et le complexe pratico-inerte, cela peut amener dans l’esprit de l’enfant l’apparition d’une croyance limitante du type : « je suis séparé de l’amour, que je dois mériter par tous les moyens ».
Le besoin de reconnaissance
Cette croyance racine va induire à son tour tout un arbre de croyances constitué d’affirmations ayant cette forme : « je serais aimé si j’ai le comportement X ou Y pour contenter l’autorité dont je dépens ».
En réalité, un amour conditionnel n’est plus véritablement de l’amour : l’implantation de cette croyance limitante signifie donc le basculement à la reconnaissance, que l’on peut définir comme un système de transactions émotionnelles conditionnelles qui dépendent d’une validation extérieure à soi.
Cette conditionnalité va créer un schisme dans l’esprit de l’enfant, qui développer un moi conformé, c’est-à-dire une sous-personnalité qu’il va présenter au monde pour obtenir de la reconnaissance, et un moi réprimé, qui est la part de soi qui va exister dans l’ombre par peur d’être jugée indigne d’être aimée.

Les injonctions
Lorsqu’un enfant assimile une croyance limitante spécifique liée à l’amour, il développe l’insécurité émotionnelle correspondante. Par exemple, en s’inspirant des contes qui ont fait le succès de tant de films Disney, il est assez courant que les garçons pensent qu’ils seront reconnus s’ils se montrent forts et correspondent à l’image du héros idéal. Pour les filles, cela se manifeste plus généralement par le besoin d’être irréprochable pour faire office de la parfaite princesse.
Cette injonction inconsciente va engendrer le besoin d’adopter le comportement en concordance. Si l’injonction est accomplie (« je suis fort.e », « je suis parfait.e », « je plais », « je fais vite », etc.), une émotion de joie est suscitée. Dans le cas contraire, une émotion négative telle que la tristesse, la colère ou le dégoût de soi se manifeste. Dans les deux cas, on parle d’émotions conditionnées induites par un programme inconscient, qui imposent certains interdits (les petits garçons ne doivent pas pleurer, les petites filles ne doivent pas se mettre en colère, etc.).
Par ailleurs, lorsqu’un individu se comporte conformément à sa directive implicite sans obtenir la reconnaissance escomptée, une émotion négative va également se déclencher. Cette émotion correspond à l’enfant adapté qui, en lui, a accompli ce qu’il fallait sans obtenir la reconnaissance tant convoitée.
De grands enfants
Nous pouvons avoir l’impression qu’en tant qu’adultes, nous avons dépassé ce type de besoins. Rien n’est moins vrai. Nous sommes toutes et tous de grands enfants avides d’amour, si bien que la sécurité ontologique a une influence majeure sur la façon dont nous nous développons tout au long de leur vie, influant sur la relation à l’intimité, la dépendance, les épreuves, l’expression des besoins, etc.
Les individus sécure ont tendance à accepter facilement la nouveauté, à être ouverts aux nouvelles idées, à sortir par le haut des épreuves et à embrasser le devenir plutôt qu’à lutter contre le courant de la vie.
La raison en est que la sécurité ontologique est l’équivalent d’une réserve interne dans lequel nous puisons pour nous remettre en cause et accueillir les critiques. Plus un être humain a une estime de soi développée, plus il sera enclin à accepter d’avoir tort et à faire des erreurs, ce qui est indispensable pour évoluer.
L’ego, un dangereux protecteur
À l’inverse, un individu qui se sent insécurisé résistera au changement car, en raison de son estime de soi vacillante, il ne dispose pas de ressources internes suffisantes pour se confronter aux remises en question. Afin de le protéger d’un effondrement psychologique, son inconscient mettra en place une stratégie de défense consistant à altérer la perception de la réalité. Cette fonction revient à l’ego, qui s’accroît à mesure que l’estime de soi de la personne diminue.
Ce mécanisme de sauvegarde peut être si puissant qu’il génère des réactions adverses à toute contestation, interprétée comme une attaque contre l’image de soi. L’ego peut alors se transformer en un bastion impénétrable, repoussant toute intrusion, y compris les chances d’épanouissement personnel, car pour une personnalité en proie à l’insécurité, le changement est assimilé à une annihilation de l’identité.
C’est le fondement des processus de projection et de distorsion sociocognitive, qui font qu’un enfant maltraité par sa mère persiste à la protéger, qu’un manager abusif est convaincu que la carence est du côté de son équipe, ou encore qu’une personne ayant subi trahisons et abandons répétés se persuade que l’ensemble du sexe opposé est indigne de confiance.
Les biais
Vu de l’extérieur, les comportements d’insécurité peuvent sembler absurdes. Pourtant, ils répondent à un besoin essentiel de survie. L’image que nous avons de nous-mêmes ne se résume pas à une simple convenance : Hans Selye, l’endocrinologue qui a mené des recherches pionnières sur le stress, a montré que ce dernier peut être fatal à tout organisme animal s’il s’accumule sans répit.
L’être humain étant profondément social et relationnel, il ne peut subsister en dehors d’une communauté. Ainsi, une perception négative de soi engendre un stress continu dû à la crainte de l’exclusion, la trahison ou l’abandon. C’est pourquoi la psyché d’une personne qui n’a pas reçu suffisamment d’affection peut mettre en place des mécanismes extrêmes pour se maintenir dans une auto-représentation valorisante, quitte à altérer complètement la réalité à travers l’ego.
Ceci ne justifie pas pour autant d’excuser les comportements abusifs qui peuvent en découler. L’inflation de l’ego doit être appréhendé comme un dispositif de protection temporaire : au-delà de cette utilité immédiate, il devient rapidement nocif. Les personnes qui s’abandonnent à la domination de leur ego choisissent une voie facile dont le coût est supporté par leur entourage, sur qui elles transfèrent la totalité de leur anxiété par projection. Ainsi, un des traits fondamentaux d’une société saine réside dans sa capacité à créer des cadres d’amour pour confronter les individus aux réalités qu’ils refusent d’accepter.
Le mode fermé et ouvert
En recoupant l’écologie interne et la notion de sécurité émotionnelle, il s’avère qu’il y a donc deux modes de fonctionnement distincts pour l’écologie interne, l’un qui repose sur la fermeture de conscience égotique, l’autre sur l’ouverture et la croissance :

Les choix de vie
Il est essentiel de souligner qu’avoir bénéficié d’amour durant l’enfance n’implique pas systématiquement que nous deviendrons des êtres exceptionnels. Bien que cela puisse être considéré comme un capital initial favorisant un développement harmonieux, il ne représente en aucun cas une garantie. En effet, des individus gâtés par une abondance d’affection dès leur plus jeune âge peuvent la dilapider par négligence, en la considérant comme acquise. À l’opposé, certains qui commencent avec peu peuvent saisir toute sa préciosité et l’accroître avec détermination.
Quand une personne choisit de s’attaquer à ses craintes et à ses idées préconçues, elle se donne la possibilité de se transformer. C’est là l’essence même de la liberté de choix : opter pour l’affrontement de ses propres zones d’ombre au lieu de s’y soumettre. Des personnalités telles que Nelson Mandela, Gandhi ou Mère Teresa illustrent que ceux qui surmontent de grands désavantages initiaux peuvent aussi accomplir des trajectoires de vie remarquables. Cela rappelle un jeu vidéo où le joueur sélectionne le niveau de difficulté le plus élevé pour maximiser l’expression de son potentiel.
Un jeu ouvert
C’est aussi pourquoi aucun être humain n’est totalement sécure ou insécure. En réalité, il faudrait plutôt parler de zones de sécurité et d’insécurité.
Par exemple, un jeune chef de projet qui peut sembler équilibré et sûr de lui peut soudain perdre pied s’il se retrouve en face d’un responsable plus âgé qui lui rappelle la froideur émotionnelle de son père. Chez la plupart de gens, l’insécurité se déclenche par des situations particulières qui activent, par association inconsciente, des scénarios traumatiques qui remontent, le plus souvent, à l’enfance.
Cela signifie que nous oscillons au gré des situations et des blessures qu’elles réveillent en nous entre des moments où nous sommes ouverts et des moments où nous sommes fermés.
Le jeu de la vie nous précipite ainsi dans une grande quête d’amour qui ne dit pas son nom et qui passe, dans un premier temps, par la reconnaissance d’autorités externes de tous types : les professeurs, puis par la suite les managers, les leaders, les divinités, etc. Et pour obtenir leur approbation, nous mobilisons des vecteurs particuliers : le diplôme, le statut social, l’argent, le degré d’intelligence, etc.
La chasse aux trésors
Cependant, au fur et à mesure que nous remplaçons les croyances séparatrices qui produisent de la souffrance en en croyances unificatrices qui produisent de l’harmonie, nous vivons une montée en conscience qui nous révèle que ce que nous cherchions à l’extérieur se trouvait, depuis le départ, en nous-mêmes.
Cela passe par une large palette de possibilités incluant la psychothérapie, l’expression artistique, de nouveaux rôles modèles, une immersion dans une culture différente, l’intégration corporelle, etc. Les deux illustrations suivantes montrent les principaux types de croyances en fonction des principales puissances qui définissent l’être humain. On pourrait dire que la principale finalité du jeu de la vie est d’alchimiser toutes ses souffrance et ses croyances limitantes pour en faire des forces de vie :
Les modes de l’écologie externe
A partir de là, la relation de cause à effet est simple : plus les écologies internes sont harmonieuses, plus l’écologie externe l’est aussi. Inversement, si c’est nos univers internes sont dominés par l’ego, l’écologie externe le manifeste par une série de déséquilibres.
Je recommande à ce propos cet excellent sketch de Nicole Ferroni, qui sous prétexte de dénoncer les dangers de la méditation en pleine conscience, explique en quoi l’économie actuelle repose principalement sur l’exploitation de traumatismes qui nous poussent à acheter, manger, se divertir, bref compenser toujours plus un vide existentiel par la surconsommation.
Le tableau suivant montre les modes de l’écologie externe en regard de l’état de notre climat interne. Il n’est donc pas du tout exagéré que dire que la surchauffe du climat est fonction de celle du mental :


Une boîte de Pandore…
Tous les concepts évoqués dans cet article sont reconnus depuis l’époque d’après-guerre. Malgré les efforts déployés par la psychologie humaniste, positive et sociocognitive, le constructivisme, le structuralisme génétique, et de nombreux autres courants visant à diffuser ces idées dans les secteurs de l’éducation et de l’économie, ils se sont majoritairement retrouvés relégués à des positions marginales.
C’est pour cela que beaucoup de dirigeants, tout en saisissant parfaitement le niveau d’action requis, s’abstiennent de s’engager dans les méandres de l’écologie interne et éludent constamment cet aspect dans les discussions autour de la transition. Ils anticipent en effet que cela équivaudrait à déverrouiller une véritable boîte de Pandore.
Leur inquiétude n’est pas infondée. L’évolution identitaire des individus implique de traverser ce qui s’apparente à une série de morts et de renaissances. Lorsque ce processus est soutenu de manière continue tout au long de l’existence, les bouleversements qu’il entraîne peuvent être anticipés et maîtrisés.
Cependant, lorsque cette dimension a été autant délaissée que dans nos sociétés modernes, les premiers pas vers la découverte de cet espace intérieur peuvent entraîner des afflux d’émotions enfouies depuis des décennies, déclenchant des réactions aussi intensives qu’imprévues, et se manifestant par une incapacité qui peut perdurer durant des semaines, des mois, voire des années, freinant ainsi fortement la productivité d’une organisation ou d’un pays.
Qu’il faut oser ouvrir avant qu’elle ne nous avale !
C’est d’ailleurs la principale raison pour laquelle les entreprises et la société dans son ensemble hésitent à explorer cette dimension : elle est trop incertaine, trop éthérée. En maintenant les individus dans un état identitaire immuable, le système assure sa propre stabilité et sa prévisibilité. Cependant, si les peurs et les croyances limitatives nous rendent prévisibles, elles nous enferment également dans un fonctionnement mécanique qui inhibe l’apprentissage, la vitalité et l’adaptabilité.
C’est précisément pour cette raison que les organisations et les civilisations s’effondrent : faute d’avoir cultivé un cadre propice au développement identitaire, elles engendrent des individus ultra-spécialisés, conditionnés, vulnérables et désespérément ancrés dans les paradigmes obsolètes. Elle prépare ainsi le terrain pour sa propre décadence.
Actuellement, l’humanité se bride elle-même par peur des dégâts qu’elle pourrait provoquer en déployant ses ailes. Pourtant, cette possibilité du mal est indissociable des merveilles qu’elle a le pouvoir d’accomplir.
Je m’apprête à discuter, dans un prochain article, de la manière dont l’intelligence artificielle, en synergie avec d’autres technologies, peut ouvrir un champ de possibilités inédit dans le développement du potentiel humain, au point où tout ce que nous avons inventé jusqu’ici dans ce domaine semblera être la préhistoire.
Il nous sera bientôt possible de concevoir des trajectoires d’apprentissage si précises, individualisées et éclairées que l’évolution identitaire continue deviendra une évidence. Comprendre et soutenir l’écologie interne des individus ainsi que des groupes deviendra praticable à une échelle étendue et avec une économie de moyens remarquable, bouleversant ainsi profondément nos systèmes actuels.