Les nouveaux alchimistes et la société des imaginaires infinis

La boussole de l’intelligence

« Chaque âme devient ce qu’elle contemple. »

Plotin

L’imaginaire est le terreau fertile où germent les grandes visions qui guident l’évolution humaine. Qu’il s’agisse de la toile vierge d’un artiste ou de la feuille blanche d’un scientifique, c’est toujours l’imaginaire qui guide le pinceau et inspire l’équation.

Fécond et inépuisable, il est notre passeport vers des univers parallèles où nous réécrivons les lois du monde, bâtissons des sociétés idéales et naviguons parmi les étoiles. Il est la carte céleste de notre conscience, l’étincelle de notre aspiration au sublime.

Ce n’est que lorsque l’œil de notre esprit a accès à ce promontoire depuis lequel tous les possibles se déploient que la pensée analytique peut ensuite s’actionner de façon utile pour proposer des chemins de transformation. Sans vision pour la propulser, elle tourne à vide.

Ombre et lumière

Mais l’imaginaire a deux faces : tout comme il peut nous ouvrir à des possibilités inouïes quand il est nourri d’amour et de vie, il peut tout aussi bien nous enfermer dans des prisons d’angoisse.

Le futur est quelque chose qui se redessine à chaque seconde à travers les oscillations de l’imaginaire. Quand nous rêvons que nous sommes dignes d’amour, que nous sommes puissants et souverains, que l’univers nous entend, que l’avenir peut être différent du passé, que nous pouvons faire confiance à la vie, ce rêve devient réalité simplement parce que nous l’investissons de notre conscience.

Inversement, il suffit que nos imaginaires se normalisent, que nos rêves se fanent sous le souffle glacé du doute et de la peur, pour que notre horizon se rétrécisse à l’extrême, que les étoiles nous paraissent hors de portée et que nos vies perdent de leur éclat.

Contrôler l’imaginaire pour contrôler l’avenir

C’est pour cette raison que l’imaginaire pose un tel problème à toutes les forces qui cherchent à orienter le comportement des masses. Il est une forge indomptable, réfractaire à la bride du contrôle. Il n’y a pas de mur assez haut pour enfermer ses élans, pas de chaîne assez lourde pour lester les rêves qu’il produit.

Si les autorités politiques, économiques, religieuses ou médiatiques cherchent à canaliser ces ruisseaux jaillissants d’idées et de potentialités, c’est qu’elles en reconnaissent la puissance — une puissance capable de balayer l’ordre établi et d’engendrer de nouvelles réalités. Car en vérité, toutes les insurrections, avant d’embraser les sociétés, commencent par un simple « Et si… ? ».

Il n’y a rien de plus subversif que l’imaginaire, et lorsque le pouvoir veut s’assurer que la masse soit obéissante, c’est la première faculté qu’il cherche à contrôler. Et pour cela, rien de plus simple : il suffit de nourrir l’inconscient collectif de récits qui réveillent la peur et programment l’humanité dans des comportements prédéterminés.

Le collectif de trouille

La nature des histoires que se raconte une société est le meilleur indicateur de son état. Plus elle est harmonieuse et sécurisée, et plus elle produit naturellement des récits centrés sur l’harmonie, sur l’interdépendance et sur la beauté de la vie, comme c’est le cas chez les peuples racines ou au sein des communautés qui ont développé un haut niveau de conscience. En revanche, plus elle est traversée de conflits inconscients et de traumas non résolus, et plus elle élabore des récits sombres et déchirants qui vont refléter ses croyances limitantes et séparatrices.

Ce type de récits a été massivement utilisé par la société de consommation pour éviter de faire face à ses contradictions internes. C’est ainsi que les films américains de science-fiction des années 50 montraient des villes attaquées par des araignées géantes venues de l’espace. Et ce n’était que le début d’un bestiaire de terreurs : aliens aux intentions néfastes, monstres mutants nés des abysses radioactives, robots sans âme à la conquête de notre humanité, et même des plantes carnivores menaçant de dévorer la civilisation entière.

Dans ces récits, le ciel n’était plus un voile étoilé d’opportunités, mais un firmament menaçant, d’où pleuvent des horreurs sans nom. Sous le spectre rouge de la Guerre Froide et les champignons nucléaires qui se dessinaient dans la psyché collective, ces créatures de fiction n’étaient autres que les incarnations de puissances hostiles et d’un avenir insaisissable, où la vie elle-même semblait issue d’une boîte de Pandore technologique. Face à cette menace extérieure, les bons citoyens, plutôt que de chercher à régler le problème à la racine, oubliaient leurs différends et se rejoignaient dans une crainte commune.

Une altérité mortelle

Le pouvoir politique renforce ainsi la peur parce qu’elle sert ses intérêts, confortant le besoin de sécurité à l’intérieur de ses murs. Pendant quarante ans, la Guerre froide a joué ce rôle, avec le communisme et le capitalisme se positionnant l’un contre l’autre comme l’alien maléfique destiné à unifier la communauté dans un « collectif de trouille », selon l’expression du critique Serge Daney.

Mais l’effondrement du communisme a privé le pouvoir politique d’un ennemi clair pour polariser la société. En réponse, les démocraties occidentales ont désigné le fondamentalisme islamiste comme leur nouvelle cible, avant que la crise sanitaire du COVID-19 ne prenne la relève.

Dans les années à venir, d’autres menaces émergeront pour jouer ce rôle de catalyseur de l’unité interne d’une civilisation épuisée par ses injonctions contradictoires : les migrants s’entassant aux portes des villes, les jeunes basculant de l’écoanxiété à l’écoterrorisme, les intelligences artificielles et les robots ébranlant les fondations éthiques, les manipulations génétiques remettant en question notre compréhension de la vie, ou encore les mouvements alternatifs interrogeant les modèles sociaux…

Chacun de ces épouvantails modernes servira à cimenter le groupe autour de la flamme vacillante de l’identité collective, transformant l’angoisse en un bastion contre l’obscurité extérieure au système. Tout prétexte sera bon pour alimenter cette fresque tourmentée où l’humanité cherche le lien dans la peur plutôt que dans la grandeur de son potentiel.

La sémiotique de l’angoisse

Une société qui n’est plus véritablement vivante se condamne à s’entourer d’histoires menaçantes servant d’exhausteurs de goût existentiel, formant une menace permanente et indistincte destinée à normaliser les consciences.

Une analyse perspicace de cette sémiotique de l’angoisse (la sémiotique étant l’étude des systèmes de signes) se trouve dans le film Mulholland Drive de David Lynch. Ce film est particulièrement troublant car il explore comment notre inconscient relie les éléments de la réalité pour créer une image globale sans se conformer au principe de causalité. L’une de ses scènes les plus marquantes montre deux protagonistes apercevant brièvement derrière un mur un visage qui semble incarner le mal absolu :

En analysant cette scène au ralenti, on réalise que ce qu’on voit est en fait simplement le visage d’une personne sans domicile fixe. Mais parce que Lynch construit un espace mental paranoïaque, le spectateur est amené à projeter sur cette image toutes les peurs accumulées de la société moderne.

C’est là, en réalité, le seul mal : toutes les insécurités auxquelles nous refusons de nous confronter consciemment, qui prennent la forme d’une ombre collective engendrant inégalités, violence et guerres.

Les films qui font grandir et les autres

À partir de là, on pourrait dire qu’il existe deux types d’œuvres : celles qui nous renforcent dans cette projection inconsciente et celles qui nous amènent à gagner en conscience et à nous en libérer. Cependant, face aux incohérences toujours plus grandes produites par le système, la fractale d’aliénation a évolué, donnant naissance à un nouveau type de récit, conçu pour brouiller les pistes en nous donnant l’illusion d’une évolution alors qu’en réalité, il nous fait faire du surplace.

Après les attentats du World Trade Center, au moment où les États-Unis ont promulgué le Patriot Act, la Maison Blanche a convoqué les principaux producteurs hollywoodiens. Elle leur a demandé d’adopter une ligne narrative néoconservatrice stricte dans leurs films, dans le but de susciter chez le public la perception que l’ordre établi est préférable à toute forme de changement, renforçant ainsi le récit politique par celui de la fiction.

Pour atteindre cet objectif, les superproductions hollywoodiennes ont commencé à utiliser massivement le schéma narratif suivant : un personnage charismatique porte un discours révolutionnaire qui fédère une communauté frustrée par l’état du monde. Cependant, ce prophète se révèle être un manipulateur qui crée le chaos et fait le mal. Les héros interviennent alors pour rétablir l’ordre, c’est-à-dire pour maintenir l’état existant du monde.

Cette stratégie narrative a pour effet de renforcer dans l’esprit du spectateur l’idée que toute tentative de changement est vouée à l’échec, voire dangereuse, encourageant ainsi une attitude de résignation et de passivité face aux structures de pouvoir en place. En véhiculant cette vision, les œuvres contribuent non seulement à maintenir le statu quo, mais aussi à décourager les élans vers une véritable transformation sociale ou personnelle.

Mieux vaut une réalité connue…

Ce motif narratif se retrouve par exemple dans la trilogie Batman de Christopher Nolan, qui a par ailleurs des qualités cinématographiques exceptionnelles, mais qui montre aussi Ra’as Al Ghul, Joker et Bane comme des visionnaires qui portent des discours révolutionnaires, pour finalement s’avérer être uniquement des destructeurs de la civilisation.

C’est la même chose dans la série le cycle des Animaux Fantastiques qui prend place dans l’univers de Harry Potter, ou Gellert Grindelwald apparaît comme un prophète avant de se révéler comme un psychopathe. C’est encore le même schéma dans Avengers: Age of Ultron, Star Wars: Prequel Trilogy, Kingsman: The Secret Service.

Même motif dans Game of Thrones, où le personnage de Daenerys Targaryen, initialement perçue comme une libératrice, chute dans la frénésie tyrannique, annihilant ainsi tout espoir dans le pouvoir libérateur du changement, et où les maisons n’arrivent finalement à s’unir que parce qu’une menace extérieure menace de les détruire.

S’ajoute à cette liste The Hunger Games, avec la figure charismatique du Président Snow qui détourne les espoirs de rébellion dans une version dystopique des jeux du cirque romains, ou encore les innombrables itérations de James Bond, où le super-espion britannique, incarnation de l’hégémonie de l’Ouest, défend l’ordre établi en neutralisant toute menace exotique.

Dans chaque scénario, c’est la même leçon qui est martelée : derrière les promesses de changement positif, se cache l’anarchie. Et les antidotes à l’impuissance et au mal-être collectif se résolvent par un retour à l’ordre obtenu par une bonne dose de violence libératrice qui sert d’exutoire aux frustrations d’un collectif écrasé par son sentiment d’impuissance.

Le changement qui ne change rien

L’ancrage inconscient qui est ainsi réalisé dans l’esprit du spectateur est de se méfier de toute forme de discours qui promet une transformation positive de la société car il est le paravent d’intentions maléfiques. C’est une forme de contrôle de l’imaginaire collectif qui induit un acquiescement subliminal à un univers où le risque est synonyme de destruction et où chaque innovation doit d’abord être évaluée à l’aune de son potentiel de menace.

À travers ce schéma, nous sommes conditionnés à associer la stagnation à la sécurité, le maintien de l’ordre établi étant présenté comme le moyen le plus sûr d’éviter le chaos et la désolation. Cette représentation renforce à la fois une méfiance vis-à-vis des figures du changement et instruit le public à craindre toute perturbation du système en place, quels que soient ses défauts.

Il y a bien sûr des exceptions à cette règle : des films grand public comme V for Vendetta, Fight Club, The Game, Snowpiercer, Matrix, ou encore The Truman Show, qui offrent une critique subtile des systèmes de pouvoir et galvanisent l’esprit à envisager des réalités alternatives. Ces productions, au lieu d’attiser la torpeur sécuritaire, éveillent le spectateur à la multiplicité des chemins et à la possibilité de reprendre la maîtrise de son propre destin.

Parmi les plus récents, on peut aussi citer Winter Solider, une véritable pépite du genre, qui présente le monde de l’après-guerre comme ayant été piloté en sous-main par les nazis depuis les coulisses des institutions internationales, et qui montre des héros qui n’hésitent pas à prendre le risque de bouleverser radicalement les équilibres existants en révélant la vérité.

Les blockbusters à portée de prompt

Si je parle de ce sujet de l’imaginaire collectif dans le cadre de mon cycle d’articles sur l’IA, c’est que cette dernière va complétement rebattre les cartes de cette mécanique bien rodée. Les générateurs de vidéos par IA de dernière génération (VEO 3, Kling, SORA…) font sentir jusqu’où peut aller cette technologie, qui pourrait beaucoup plus rapidement que l’on ne l’imagine fournir à n’importe qui la capacité de produire des œuvres qui concurrencent les grandes productions hollywoodiennes.

Il se joue là quelque chose de décisif, car le principal atout dont disposaient jusqu’ici les systèmes de contrôle de l’imaginaire collectif était leurs moyens techniques. Les films hollywoodiens sont construits sur la base de l’analyse fine de la réaction du public en face de scène conçues pour fasciner par le montage et par la puissance visuelle et sonore. Mais que va-t-il se passer quand n’importe qui pourra produire un blockbuster ou un jeu vidéo AAA (terme utilisé pour désigner les jeux avec des budgets les plus élevés) en quelques heures seulement ?

La démocratisation explosive de la création

L’un des changements les plus profonds qu’Internet ait apporté à la culture contemporaine est d’offrir un canal de diffusion direct, c’est-à-dire non éditorialisé, des contenus produits par tout un chacun. Cela a donné à la fois un torrent d’inepties, mais aussi un certain nombre de diamants qui n’auraient jamais pu se faire connaître dans un système filtrant.

Car de façon subtile, tout système éditorial institutionnalisé tend à la conservation et à la reproduction sociale. Les responsables des programmes des chaînes de télévision, les producteurs de cinéma et de jeux vidéo, les grands éditeurs, tous s’imaginent libres et indépendants d’esprit. Mais ils négligent qu’ils ont été sélectionnés par le système pour se retrouver là où ils sont non en raison de leur créativité, mais d’abord en raison de leur capacité à préserver de façon subtile le paradigme dominant :

Or dans un monde où la puissance de la création cinématographique et vidéoludique devient accessible à tous, nous allons assister à l’effondrement des portes du temple des médias de masse. Les clés de la création, autrefois détenues par un cercle d’élus aux poches profondes et aux ressources gargantuesques, vont se retrouver entre les mains de la multitude, et ce en un temps trop court pour que le système s’y adapte. C’est un tournant historique, rien de moins.

La multitude, architecte de son propre imaginaire

Nous sommes aux aurores d’une période où la créativité individuelle va être libérée de ses chaînes financières et techniques, et cette libération a le potentiel de déclencher une renaissance des arts et d’une pensée affranchie des dogmes du passé.

Dans cette nouvelle ère, chaque individu pourra façonner sa vision du monde et l’exprimer à travers des œuvres épiques qui transportent les esprits. Les limitations ne seront plus techniques, mais purement imaginatives. Et cela va nous révéler à quel point le drame réel de notre époque réside en premier lieu dans le fait que les individus qui ont le pouvoir politique et économique ont un imaginaire désespérément stérile.

En guide de récits inspirants, les grands leaders politiques nous parlent désormais de faire des bébés pour préparer la troisième guerre mondiale, de rétablir des frontières pour tempérer les flux migratoires jugés comme des invasions ou de redresser coûte que coûte une économie qui tousse à s’en étouffer. Dans leurs discours, l’horizon du possible se limite au maintien d’un équilibre chancelant, tandis que les rêves de demain se dissolvent dans les vapeurs acre de l’inertie.

Quant aux maîtres de l’économie nouvelle comme Elon Musk ou Mark Zuckerberg, qui portaient pourtant de grands rêves dans leur phase d’ascension, leur vision est désormais de plonger l’humanité dans un métavers sans saveur ou de construire des systèmes d’hyperloop alors que le monde est au bord de l’effondrement écologique.

Les grands éditeurs d’IA ne font d’ailleurs pas beaucoup mieux en nous offrant la vision d’une compétition acharnée où tous les coups sont permis pour prendre le monopole du marché. J’évoquerais dans un prochain article quel type de nouveau système redistributif il serait possible d’imaginer pour réduire les inégalités que les IA sont actuellement en train de creuser (et sans surprise, on verra qu’il sera assisté… par IA !), mais pour l’instant, je vais me concentrer sur la dimension positive de la révolution des imaginaires en cours.

Des nouveaux rêves

Ce qui nous enferme, ce n’est pas un monde monstrueux. C’est une histoire monstrueuse que nous nous racontons sur le réel et sur la nature humaine. C’est l’absence de poésie et de magie dans notre représentation du monde.

Nous ne réussirons pas la transition si nous ne réenchantons pas d’abord notre regard. Jusqu’ici, c’était chose impossible, mais cette situation va connaître un basculement radical avec la possibilité de créer des récits puissants qui vont désormais refléter une diversité autrement plus importante de points de vue.

D’ici peu, un adolescent pourra, du fond de sa chambre, élaborer des univers d’une richesse égale à la grandeur de ses rêves, ouvrant des fenêtres vers des avenirs flamboyants et des récits révolutionnaires. Les histoires qui en résulteront seront des vecteurs de changement, infusant dans la conscience collective des idéaux nouveaux et des paradigmes inexplorés.

Les vannes de l’innovation narrative vont s’ouvrir plus grand que jamais, et le torrent qui en jaillit inondera la société de perspectives diversifiées, diluant le contrôle et permettant une véritable libération des élans de vie.

Le voyage du héros

Il reste cependant un dernier défi à surmonter : la tentation de tomber dans la facilité de la réplication. Pour que cette révolution ne soit pas stérile, qu’elle ne renforce pas les schémas du passé, les créateurs devront s’armer d’intégrité et de courage. Il s’agira de résister à la pression de la conformité, de défendre la singularité face à l’uniformisation, de cultiver la profondeur lorsque la surface scintille d’appels séducteurs.

La fiction a été instrumentalisée depuis si longtemps comme un opium qu’il faut commencer par s’interroger sur le rôle qu’elle peut prendre dans la transformation de la société.

Pour ma part, je crois que la fonction fondamentale du récit est de nous montrer la voie de notre propre aventure. Le modèle du voyage du héros théorisé par Joseph Campbell dans son ouvrage Le héros aux mille et un visages est la bible des créateurs de scénario hollywoodiens depuis l’après-guerre.

Or Campbell n’a jamais eu intention que son modèle soit utilisé dans des fictions savamment encodées pour nous garder dans la peur de l’inconnu. Au contraire, il le voyait comme un guide pour trouver sa propre voie en dévoilant la magie de l’existence :

Le risque de la liberté

On objectera que le pouvoir qui est mis ainsi entre les mains de la multitude peut être mal usé : deep fakes, usurpations d’identité, manipulation mentale… Oui, il le peut et il le sera ! Mais je le répète : il est impossible d’avoir une humanité puissante, qui retrouve le contrôle de son destin, sans prendre le risque qu’elle puisse faire aussi le mal. Comprendre cela et l’accepter est d’ailleurs l’essence même du voyage du héros.

L’enjeu, désormais, n’est pas de réprimer cette puissance naissante, de la cloîtrer ou de la craindre. C’est de l’éduquer, de la canaliser vers des horizons de bien, d’innovation et de justice. Cela requiert plus qu’une simple régulation — c’est un appel à une révolution de la conscience, à une évolution de notre imaginaire collectif tout entier.

Le feu qui couve au cœur de cette renaissance technologique et imaginative ne doit pas être étouffé par nos peurs . Il doit être attisé, nourri de visions qui élèvent, d’histoires qui relient, de rêves qui propulsent l’humanité vers des sommets inconnus. Voilà le véritable défi de notre époque : transformer ce potentiel explosif en un feu d’artifice plutôt que dans une bombe à retardement.

Alchimiser l’ombre

C’est cela l’opportunité qu’il s’agit de saisir à présent. Je ne suis ni en faveurs des récits colorés qui éliminent les aspects sombres de la vie au nom de la pensée positive, pas plus que je suis en faveur de la complaisance pour les univers sombres qui ressassent à l’infini les traumas et la désespérance.

Il s’agit, dans les histoires que nous nous racontons, d’aller au bout du processus de montée en conscience. Cela veut dire inspirer par des récits qui montrent que le réel est un mystère et que la vie est une série d’épreuves pour nous y initier.

La vague de nouveaux récits qui va émerger avec les IA génératives est l’occasion de se réapproprier le gouvernail de cette alchimisation de notre part d’ombre par des histoires puissantes, inspirantes, qui vont retrouver leur rôle originel d’étoiles qui nous guident sur les chemins de l’existence.

En ces temps de turbulences et de métamorphoses accélérées, les jeunes générations de créateurs se dressent à l’avant-garde d’une renaissance. Ces nouveaux alchimistes de l’imaginaire portent en eux plus qu’un talent ou une faculté : ils sont les dépositaires d’un feu sacré, le souffle vital d’une ère qui cherche à naître à travers des paradoxes et les contradictions des temps présents.

Je crois que cela va notamment passer la création d’un tout nouveau type d’école pour accompagner celles et ceux qui vont façonner les récits de demain. Des récits qui ne nous bercent plus dans une illusion anesthésiante ou nous plongent dans les abîmes d’une nuit sans fin, mais qui libèrent notre puissance d’être en renversant le quatrième mur, celui qui sépare le monde de la fiction du monde réel.