Le pratico-inerte et les croyances infantiles

Le Pratico-Inerte : l’infrastructure technique qui façonne nos croyances et nos vies

Le pratico-inerte, concept hérité de Sartre et approfondi par Jacques Ellul, désigne l’ensemble des artefacts, infrastructures et organisations humaines qui, une fois créés, exercent à leur tour une pression invisible sur nos comportements, nos perceptions et nos valeurs. Routes, murs, technologies, institutions, et même objets du quotidien conditionnent à la fois la sécurité et la peur, l’appétit et la privation, la confiance et la méfiance, en verrouillant notre psyché dans des cycles de croyances limitantes.


1. Origines anthropologiques

Dès le Néolithique, la sédentarisation et l’édification de murs véhiculent sans un mot : « le monde extérieur est hostile ». Propriété, territoire et droit légitiment la division ontologique et fondent le sentiment que l’objet (terre, bien) prime sur la relation. Ces premières fonctions du pratico-inerte ont rendu l’homme maître et possesseur de la nature, amorçant son éloignement de l’écologie originelle.

2. Les grandes inventions comme modules de conditionnement

Chaque étape majeure – écriture, monnaie, lois, usine, électricité, Internet – a ajouté un « module » au système psychique collectif.

  • L’écriture : nous croyons que ce qui est écrit est plus fiable que ce qui est éprouvé.
  • La monnaie : nous confondons « argent » et « valeur », mesurant notre estime et celle des autres à son seul montant.
  • Le travail salarié : nous associons notre identité à notre statut professionnel, craignant l’inutilité.
  • La technologie : nous abandonnons nos capacités naturelles – marche, vision périphérique, attention soutenue – au profit de machines qui renforcent la dépendance et l’aliénation.

3. Les croyances pratiques induites

À chaque invention correspond une croyance limitante « enfantine » qui se sédimente :

  • « Le temps est un tyran » (mesure du temps)
  • « L’éducation est un passage obligé » (école)
  • « Manger apaise mes émotions » (alimentation industrielle)
  • « La technologie me protège » (écrans, réseaux)
    Ces préjugés façonnent nos besoins artificiels, déforment nos désirs et renforcent l’angoisse existentielle.

4. Mécanismes de rétroaction

Le pratico-inerte agit comme une boucle de rétroaction : plus nous utilisons un objet, plus ses croyances associées s’enracinent. Les enfants, dès la naissance, absorbent ce conditionnement sans filtre critique, répétant mécanismes et peurs millénaires. Nous devenons esclaves de nos propres inventions, incapables de saisir qu’elles ont produit en nous les croyances qui justifient leur existence.

5. Impacts sur la santé et l’environnement

La sédentarité, le stress, la malbouffe, la pollution électromagnétique et chimique résultent directement du pratico-inerte. Notre corps, programmé pour bouger et interagir avec un écosystème vivant, se délite dans un milieu aseptisé où machines et infrastructures deviennent nos seules lignes de vie, entraînant obésité, maladies chroniques et affaiblissement immunitaire.

6. Vers une déprogrammation consciente

Pour dépasser l’emprise du pratico-inerte, il ne suffit pas d’inventer de nouvelles technologies. Il faut :

  1. Cartographier les objets, institutions et rituels qui nous conditionnent (de la chaise au smartphone, du code civil au mur d’enceinte).
  2. Re-simplifier notre environnement : privilégier le mouvement libre, les lieux non cloisonnés et les outils analogiques (carnet, boussole, jardin potager).
  3. Éduquer à la réflexivité : dès l’enfance, apprendre à questionner les usages (pourquoi j’utilise cet objet ? Quel sentiment il renforce ?), à distinguer besoins réels et désirs induits.
  4. Mettre en place des « zones blanches » : espaces où la technique est débranchée, favorisant le contact direct avec le vivant et la communauté (écolieux, forêts pédagogiques).
  5. Réintégrer la nature : reconnaître juridiquement les droits de la nature, restaurer les corridors écologiques et faire de la régénération un critère de réussite sociale et économique.

Le Pratico-Inerte comme rebond du Point Zéro

Face aux crises écologiques, sociales et psychiques, le Point Zéro propose de transformer le pratico-inerte en pratico-vivant : non plus un carcan, mais un milieu de vie co-construit où chaque artefact renforce la résilience, stimule la créativité et reconnecte l’individu au tout. C’est en cessant de subir nos propres inventions et en en redevenant les co-auteurs conscients que l’humanité pourra franchir le basculement régénératif.